Y a-t-il une différence essentielle entre l'artiste et l'artisan ?
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Cependant, au fil des siècles, la différence entre l’artiste et l’artisan devient plus marquée. Au 18e siècle, on parle désormais de Beaux-Arts pour désigner exclusivement les productions de l’artiste. L’artiste n’est plus alors un artisan particulièrement habile mais un homme doué de génie et capable de créer une œuvre inédite porteuse de sens.
Par conséquent, quelles différences y a-t-il entre l’artiste et l’artisan ? Peut-on comparer leur activité ou bien, au contraire, doit-on les opposer aussi bien dans leurs manières de produire que dans leurs intentions créatrices ?
L’art de l’artiste, comme celui de l’artisan, se distingue de l’industrie vue comme production collective, mécanisée, standardisée. En effet, les productions de l’art sont singularisées (et non pas en série comme dans l’industrie) et supposent des connaissances d’ordre empirique, c’est-à-dire liées à l’expérience (et non pas scientifiques comme pour la technologie).
• artiste et artisan produisent tous deux une œuvre singulière et originale ;
• tous deux suivent la production du début à la fin, contrairement à l’ouvrier qui n’a pas de rapport personnel avec ce qu’il est en train de produire ;
• leur production est faite selon les règles de l’art : tous deux doivent suivre une certaine méthode et respecter des techniques plus ou moins codifiées. On ne s’improvise pas plus musicien que menuisier : un apprentissage est nécessaire. Contrairement à ce que l’on peut prétendre, l’artiste n’est pas l’inspiré qui crée sans effort. Il ne peut acquérir la maîtrise de son art qu’en l’exerçant (« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », écrit Boileau en parlant de l’art poétique).
Par conséquent, artiste et artisan semblent se rejoindre. C’est pour cette raison que certains artisans brillants sont considérés comme des artistes. De ces points communs vient également l’héritage du mot « chef d’œuvre » qui désignait à l’origine non pas la réussite d’un artiste de talent mais l’objet d’art exécuté par l’artisan « compagnon » auprès d’un « maître-artisan ».
On trouve donc dans la notion d’artisanat l’idée d’un moyen en vue d’une fin, une poïèsis pour reprendre le terme grec utilisé dans l’Antiquité.
L’œuvre de l’artiste n’a pas à être utile ou consommable. Elle n’a pas de valeur d’usage : ce n’est ni un bien, ni un service. Certes, un artiste peut recevoir de l’argent pour le produit de sa création. Mais il n’appartient pas pour autant à la sphère marchande : il ne crée pas une œuvre pour gagner de l’argent. Son activité est donc une fin en soi : elle a son sens en elle-même, indépendamment des profits extérieurs que l’on pourrait tirer. C’est ce que désigne le terme grec de praxis.
Kant, dans la Critique de la faculté de juger (§ 43), explique ainsi que l’art est « libéral », tandis que le métier est « mercenaire ». Kant compare en effet l’art à un « jeu », c’est-à-dire une activité « agréable en elle-même » : tous deux s’apparentent à une activité gratuite, désintéressée, inutile (du moins au sens économique du terme).
Au contraire, Kant compare le travail de l’artisan à l’activité du « mercenaire », c’est-à-dire à une activité effectuée non pas par simple plaisir, mais en échange d’un salaire.
Au contraire, l’artiste a une intuition de ce qu’il veut faire, mais il ne sait pas d’avance ce que sera son œuvre. L’écrivain a beau avoir une idée de son roman avant de se mettre à écrire, toute son œuvre ne tient pas dans son projet : les idées viennent nourrir sa création au fur et à mesure de son écriture. Tout se passe comme si l’artiste pouvait être spectateur de sa propre œuvre. Il ne sait pas d’avance les règles qu’il va suivre et peut être surpris du résultat. Comme le dit Alain à propos de l’artiste, « l’idée lui vient au fur et à mesure qu’il fait ». Il y a donc dans l’activité de l’artiste une part de hasard et d’improvisation qu’on ne rencontre qu’en un degré minime dans le travail de l’artisan.
Par conséquent, l’œuvre d’art ne peut pas se confondre avec la production de l’artisan. Il y a dans la première une puissance de créativité qui excède la seconde et qui ne peut pas être réduite à la consignation de méthodes et de techniques déterminées à l’avance. On pourrait dire qu’il y a chez l’artiste une transcendance qu’on ne trouve pas chez l’artisan. Est-ce à dire que l’artiste est un artisan avec du génie en plus ?
• l’originalité : l’artiste de génie est capable de créer quelque chose d’original, d’incomparable, alors même qu’il n’a pas appris à le faire et qu’il ne suit pas des règles connues ;
• l’exemplarité : le génie est capable d’être un modèle pour d’autres créateurs et est susceptible d’être imité et de faire école ;
• l’inspiration : le génie ne sait pas lui-même d’où lui viennent les règles qu’il utilise, comme si c’était la nature qui lui dictait son acte créatif.
Ce qui caractérise l’artiste génial n’est donc pas l’apanage de l’artisan. C’est en cela que l’on parle d’inspiration pour l’artiste. Comme le dit Platon dans son dialogue Ion, le poète est un « inspiré des dieux » : il ne sait pas ce qu’il fait, comme si sa force créatrice lui venait de l’extérieur, d’une puissance transcendante.
Cependant, donner un côté magique à la création artistique ne signifie pas pour autant qu’il n’y pas de part de travail dans l’art. Une œuvre d’art ne provient pas de nulle part mais exige un effort et une patience. Les productions de l’artiste ne peuvent dispenser d’un travail, parfois long et pénible.
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